Si un souvenir, plus tard, peut mêler quelque douceur à l'inconsolable chagrin de ses proches, ce sera celui des affections et des sympathies que laisse notre ami Albert Aurier. De cela témoignent la foule d'écrivains et d'artistes qui vinrent à la gare d'Orléans, le jeudi 6 octobre, pour un suprême adieu, et le nombre des amis d'enfance et de collège qui, à Châteauroux, l'accompagnèrent jusqu'au caveau de famille où maintenant il repose.
A la gare d'Orléans, des couronnes ont été déposées par
MM. Paul Vogler— l'ami avec qui Aurier fit à Marseille ce voyage au retour duquel il s'alita — Remy de Gourmont, Le Barc de Boutteville, puis par Un groupe d'amis, les Essais d'Art Libre, la rédaction du Mercure de France, etc.
Parmi les personnes présentes, nous avons reconnu MM. Edouard Dubus, Remy de Gourmont, Julien Leclercq, Jules Renard, Albert Samain, Pierre Quillard, Jean Courl, Louis Denise, Charles Merki, Alfred Vallette, Mme Rachilde, P. N . Roinard, Gabriel Randon, Henry de Groux, Paul Vogler, Vogler père, Ibels, Le Barc de Boutteville, Georges Darien, Edmond Girard, Mme B. de Courrière, André Okenski, Henri Darien, Théodore Chèze, le comte Antoine de La Rochefoucauld, Fournon, Angrand, Roger Marx, Jules Huret, Marcel Collière, M. et Mme Léon Deschamps, Mlle Camée, Léon Maillard, Yvanhoé Rambosson, Léon Riotor, Jules Méry, Léon Dorez, Alfred Mortier, Charles-Henry et Paul-Armand Hirsch, Alejandro Sawa, Tardieu, Etienne Decrept, Ch. Garnier, Emile Devaulx, Louis Kolf, Thézard, Lucien Hubert, Mahut, Arthème Salmon, Moreau, Louis Hugues, Gaston Lesaulx, Forichon, Guillemain , Déguéret, Duchemin, M. et Mme Chernovis, M. et Mme Hautecœur, MMmes de Vaux, Jacques de Vaux, Andhré et Paul Bouché, Vacher, Gustave Moulinet. Richard, Georges et Maurice Pinault, Crespin, Gourin, Clapon, Tissier, Babou, J. des Gachons, Lefebvre.
Nous avons reçu de nombreuses lettres attristées, dont plusieurs de personnes qui ne connaissaient notre ami que par ces publications. Celles que nous insérons ci-dessous émanent d'amitiés plus particulières:
« Mon cher Vallette,
« Dans le train qui marche, le Gil Blas m'apprend l'horrible nouvelle de la mort de notre doux et cher Aurier. Je ne connais pas les siens , mais à vous, notre rédacteur en chef, je tiens à dire — car mon cœur a besoin de le dire à tous en le disant à vous — que je pleure amèrement l'ami perdu.
« Saint-Pol-Roux. »
« Mon cher ami,
Je viens, par un faire-part, d'apprendre la mort de ce pauvre Aurier. 27 ans ! Et tant de talent, et tant d'avenir! Est-ce possible ? Mais comment est-il mort? De quoi ? Il paraissait si fort, si plein de santé!
» Je ne connais personne de sa famille. Je ne connais guère que vous, de ses amis. C'est à vous, mon cher Gourmont, que je dis toute ma tristesse. Ici, dans ma solitude, je me fais un monde idéal de jeunes amis. Je leur parle souvent: ils sont avec moi un peu partout où je suis. Aurier était de ceux-là. Et quoique je ne l'aie entrevu qu'une fois, dans l'ombre d'un théâtre, il m'était devenu cher.
Il n'y a donc que des deuils dans la vie!
« Je vous embrasse tendrement.
» Octave Mirbeau.»
« Mon cher Leclercq,
» Aurier ! Vous disiez : Aurier, comme je dis : Carrière.
» Vous devez avoir beaucoup de peine.
» Seulement à 7 heures, hier soir, on m'a remis la lettre. Quel regret !
» Je vous serre la main,
» Jean Dolent. »
» Je n'ai pu me joindre à vous et aux vôtres au convoi de votre si précieux ami et collaborateur G.-Albert Aurier.
» Prévenu trop tard, j'ai eu la tristesse de ne pouvoir donner cette dernière preuve de sympathie affectueuse à la belle intelligence que fut notre ami.
» Excusez-moi, cher Monsieur, auprès de vos amis, et croyez que je prends grande part à votre chagrin, ayant conscience des belles qualités dont la mort, en prenant Albert Aurier, nous a privés.
» Croyez-moi de cœur avec vous dans une profonde émotion.
» Eugène Carrière. »
« Georges Lecomte associe ses très vifs regrets à ceux que laisse à tous ses amis du Mercure la mort de ce pauvre grand Aurier, et vous prie d'agréer, mon cher Monsieur Vallette, l'expression de ses sentiments attristés et de sa sympathie bien dévouée.
» Georges Lecomte. »
« J'apprends à ce moment la douloureuse nouvelle. Je regrette bien profondément de n'avoir pu me joindre aux amis qui ont dit un dernier adieu à celui qui venait de disparaître. Je n'étais pas prévenu.
» Mille regrets de votre tout sincère,
« Ch. Wiest. »
Nous détachons du Journal du Département de l'Indre les lignes suivantes, qui relatent la cérémonie de l'enterrement à Châteauroux:
« Ce matin, de nombreux amis ont accompagné jusqu'à sa dernière demeure la dépouille mortelle de M. Albert Aurier, dont nous avons annoncé la mort prématurée.
» Le char funèbre était orné de nombreuses couronnes offertes par l'Association amicale des anciens élèves du lycée; la Rédaction du Mercure de France; les Essais d'Art Libre; les amis de Paris ; les amis de Châteauroux, et par la famille.
» Le deuil était conduit par M. et Mme Grammaire, et les cordons tenus par MM. Alexis Joyaux, juge au tribunal civil de Guéret; Adolphe Landry, substitut à Espalion; Paul Moreau, avocat à Paris; Albert Tissier, professeur à la Faculté de droit de Dijon.
» Après la cérémonie religieuse, qui a eu lieu à l'église Notre-Dame, l'inhumation a été faite dans un caveau de famille.
Sur le bord de la tombe entr'ouverte, M. Albert Tissier a dit un dernier adieu à celui qui fut toujours un bon camarade et un ami sincère.
» Il s'est ainsi exprimé:
« Messieurs,
» Au nom de tous les amis d'Albert Aurier, des compagnons de sa jeunesse, de ceux qui l'ont connu pendant ses années d'études, de labeur, d'espérance, de confiance dans l'avenir, je viens jeter sur cette tombe un dernier, un simple adieu. Pour un pareil deuil, si inattendu, si prématuré, si cruel, on ne saurait parler de résignation, et je ne veux pas prononcer ici une seule parole de consolation vaine. Ceux qui ont connu ce grand cœur, cette large générosité, cette sereine bonté, ceux qui ont apprécié cet esprit si délicat, si cultivé, si épris des belles choses de la littérature et de l'art, ceux-là peuvent seuls savoir combien notre deuil est grand, notre douleur profonde. Albert Aurier avait fait à Paris ses études de droit; il avait été reçu avocat; mais une vocation née d'un enthousiasme sincère, et qui n'étonna aucun de ceux qui le connaissaient, l'entraîna vers des travaux exclusivement littéraires et artistiques. Pendant plusieurs années, nous l'avons vu se préparer avec ardeur à cette carrière vers laquelle ses goûts l'attiraient; il avait été un des élèves distingués de l'école du Louvre; quelques uns de ses premiers essais avaient été très remarques et laissaient présager ce qu'il pourrait donner un jour. Ses critiques d'art notamment lui avaient valu des éloges autorisés et lui avaient déjà assigné un rang brillant dans la presse parisienne. Il est mort au moment où il allait recueillir le fruit de ses premiers travaux, où il allait achever des œuvres plus mûries qui lui auraient attiré les succès et les récompenses que méritait son jeune talent. Mais, et c'est ce que je tiens surtout à dire ici, s'il ne doit rester de lui que le souvenir que nous conserverons, ce souvenir, qui sera celui de l'ami au cœur excellent, plein de douceur, de bonté, de dévouement, ce souvenir à lui seul vaudra toutes les réputations et toutes les gloires.
» Au nom de tous ses amis, je dis à Albert Aurier un dernier adieu. »
La mort vient de priver M. Camille de Sainte-Croix d'une mère beaucoup aimée, qui lui avait adouci et rendu possible l'heure périlleuse des débuts. Un grand deuil frappe également M. Charles Morice, qui a eu la douleur de perdre son père au commencement de ce mois.
Nous adressons à nos deux amis l'expression de nos sympathies attristées.
Madame Marie Huot a donné, le 2 octobre, en la salle de la Sociéte de Géographie (carte du Tendre, cette fois-ci...) une bien curieuse conférence sur le Malthusianisme. Sans vouloir discuter les très louables intentions de la conférencière , car il nous faudrait pour ce écrire un volume, nous
nous bornerons à cette remarque, nullement ironique de notre part : répandre la doctrine de Malthus ne suffit pas lorsqu'on s'adresse au peuple et même à une certaine classe de petits bourgeois naïfs, il faut avoir le courage d'aller jusqu'à la démonstration,
— Oui! elle a raison.... mais le moyen ! murmurait derrière nous une dame de bonne volonté.
Quand on a la bravoure de Mme Marie Huot, s'arrête-t-on en si belle route? Ceci soit dit au seul sujet du fond. Quant à la forme, félicitons l'orateur, Mme Huot n'étant pas du tout la virago qu'on se plait à nous dépeindre, flanquée de dogues et de matous aussi cruels que reconnaissants. C'est, au contraire, une encore fort jolie femme au geste ample et souple, légèrement nerveux quelquefois, au profil Sarahbernardtesque, à la crinière léonine, à la voix sympathique, et pour la plus grande gloire non de Malthus, mais bien plutôt de l'éternel féminin, elle est encadrée par deux hommes d'allures très crânement charmantes : son mari et son fils. Rien d'exquis comme de voir, en ces temps de couardises générales, ce tout jeune Henri Huot placé, durant le discours de sa terrible maman, au milieu d'une centaine d'étudiants rendus fous furieux par un peu de logique brutale, et leur tenant tête avec une chevalerie qui n'est certes plus en usage chez les fils de famille de notre chère patrie! Après la conférence de Mme Huot, divers compagnons, l'un orné d'un dalhia a sa boutonnière, se sont étendus sur les joies de l'amour libre et les malheurs de l'impératrice d'Allemagne, qui fut obligée, la pauvre, d'épouser contre son gré un empereur souffrant (soyons polis), alors qu'elle eût préféré sans doute l'étreinte d'un brave ouvrier à la casquette noblement posée en arrière. M. Victor Barrucand a dit des choses relativement raisonnables, que d'ailleurs personne n'a entendues. Un monsieur imberbe et pâle a réfuté le droit de sélection naturelle en offrant comme exemple Léon Cladel, qui se trouvait être le cadet méprisé d'une nombreuse famille et est cependant devenu un homme de lettres célèbre (A ce sujet, quelqu'un lui a fait doucement remarquer que le type de l'homme de lettres célèbre ne pouvait en aucun cas être pris pour celui de la perfection masculine). Puis on s'est séparé complètement aphone. Somme toute, bonne séance pour la cause. Encore quelques coups de pouces rageurs dans la pulpe du fruit de l'arbre maudit et nous certifions la complète pourriture nécessaire à son détachement de la branche.
***
Le poète Charles Delacour (plus connu dans le monde où l'on flonflonne sous le pseudonyme — combien Moscove — d'Ivanoff) débuta, non sans gloire, à l'Eden-Concert, un vendredi du mois dernier.
Invoquée la Déesse par qui sont les cœurs asservis, madame Sainte-Ange (O. A. [image d'une couronne de laurier] et maîtresse du lieu ) s'ingénia, voici quelques automnes, de manifester aux gens, sous une
rubrique, je l'ose dire, portenteuse, Soirées classiques, les vieillotes sucreries de Paul Henrion, de Nadaud, et de la petite mère Loïsa Puget, naïve prédécesseur du jeune homme Fourneau. C'est en ce musico sans précédent que les hommes de ma génération ont pu connaître quelle indifférence accostait le patriarche Béranger touchant les peignoirs de sa maîtresse:
et par quelles gaillardises cette charogne, non moins nationale que feu Renan, bénissait le Dieu qui mène ses pareils aux honneurs sans fin, à l'admiration édentée autant que subtile du jouvenceau Barrès.
C'est là aussi que trop rarement un chanteur de tout premier ordre. M. Francis Villé, fait ouïr les robustes idylles de Pierre Dupont et telles de ces vieilles chansons du terroir français où se plaisait tant Gérard de Nerval.
Monsieur Charles Delacour donne à l'Eden-Concert la note moderne avec ses poèmes d'une misanthropie langoureuse qui font rêver d'un Bruant attendri. Sa grâce personnelle, son art de dire et la parfaite harmonie de son costume avec sa tête de Christ préraphaélisant chez Liberty, ont produit sur le public quelque peu fruste du boulevard Sébastopol une impression vive; et les demoiselles de chemisiers y présentes essaieront longuement sur leur forte-piano les songs : J'taimais bien et Je ne sais pourquoi.
Voilà donc un exutoire neuf à l'insatiable ambition des poètes. MM. de l'école romane, moins connus, nonobstant leurs efforts, que le suçon Géraudel, pourront prendre exemple là-dessus et manifester coram populo ce trésor de versions latines qu'ils élaborent opiniâtrement. Avec leur entente de la mise en scène, il n'est pas douteux qu'ils sauront choisir pour leurs débuts les quartiers de Paris les plus congruents à leurs aptitudes.
Ainsi, le chevalier Maurice du Plessys est tout indiqué pour « rénover » les beuglants de la rue de Flandre, et Jean Moréas pour matagraboliser les consommateurs de la Nouvelle Athènes. Ernest Raynaud jouera du violon, ce pendant que Raymond de La Tailhède représentera, d'une insuffisance « chasse-ennui », le quatrième officier de Marlborough.
X.
L'Echo de Paris a eu la pensée louable de créer, dans son supplément du samedi, la rubrique « Les Jeunes Revues littéraires et artistiques », sous laquelle est donné, par des citations nombreuses et des notes, comme un tableau synoptique des idées manifestées dans leurs revues par les écrivains nouveaux. Cette rubrique a été confiée à M. Alfred Vallette, dont les deux premiers articles ont paru dans les numéros des 16 et 23 octobre.
« Poète, Lamartine a toujours amèrement regretté d'être marqué et comme stigmatisé de ce titre. Il le porta tout le temps de sa vie, et qui peut l'en blâmer? comme le plus désobligeant des sobriquets. » Cette extraordinaire flagornerie adressée en hommage à tous les mufles qui n'ont point le
malheur d'être poètes n'est point signée, comme on le croirait, par quelque fétide pingouin de la chronique. Elle a été imaginée pour les lecteurs de 'La Lyre universelle par M. E. Ledrain, d'ordinaire mieux avisé.
Enrik Ibsen met la dernière main à son nouveau drame. Des traités avec plusieurs éditeurs étrangers viennent d'être signés. Mais on ignore encore le contenu et les tendances de la pièce. La nouvelle, donnée par un journal viennois et reproduite par toute la presse européenne, annonçant une pièce politique « à clef » est absolument fausse. Ibsen a l'habitude de garder un silence complet sur ses productions. A Munich, lorsqu'il travaillait à Hedda Gabler, sa femme et son fils ignoraient entièrement quelle « nouvelle diablerie » il préparait.
« Bruxelles, 26 septembre 1892.
» En vous remerciant, Monsieur, de me donner acte dans le Mercure de France, page 190, du titre : Un Prophète, pour mon prochain volume, permettez-moi de rectifier une erreur commise dans la rédaction de la note : je n'ai pu dire que « la donnée du livre est identique » à celles des œuvres que préparent MM. Gabriel Randon et Stuart Merrill, n'ayant encore entendu parler que du titre de ces œuvres. Mon observation ne portait que sur ce point : des idées peut-être analogues semblent préoccuper divers littérateurs; j'ai simplement voulu éviter que le hasard fît surgir quelque livre du même titre, — car une fois le vrai titre d'un livre trouvé, il n'y a que celui-là qui soit le bon, et en confraternité — littéraire — je préfère que ce soit moi qui l'aie.
» Raymond Nyst. »
Pour paraître prochainement:
Une belle Dame passa, un livre de vers d'Adolphe Retté (Vanier).
L'Ame Errante, un volume de vers de Georges Lorin.
« Groningue (Hollande), oct. 3.
» Monsieur!
» On m'assure qu'un journal bien connu a émis le mois dernier des affiches ainsi rédigées:
» L'Echo de Paris est le seul journal qui publie des chroniques d'Albert Dubrujeaud. »
» Je suis un grand amateur de curiosités, et comme je n'ignore pas absolument la littérature française contemporaine, il m'a semblé que cette affiche serait la perle de ma collection.
» Si vous pouvez me la procurer, je vous en serai très reconnaissant. Le prix, si élevé qu'il soit, ne m'arrêtera pas.
» Herengracht. »
Mercvre.