- Poète, prends la sombre scabieuse,
- La brune échevelée au doux parfum qui mord,
- Fleur de deuil, fleur de veuve, fleur ombreuse,
- Sur ton sein profond comme la Mer ou la Mort...
- Dis-moi de quelles nostalgies-névroses,
- Langueurs, satiétés, funéraires débris,
- Parfums perdus, effondrement de choses,
- Est faite sa corolle aux replis assombris ?
- De quel tissu, de quelle étrange trame
- Est sa robe de serge, de pourpre et de feu ?
- De noirs lambeaux arrachés à quelle âme....
- Ou d'un loup de velours... taché de sang un peu ?
- Quelle est l'haleine énervante, navrée,
- Lourde de lassitude et de subtils relents
- Comme un vin vieux, qu'exhale, vulnérée,
- Sa patiente ardeur sous tes souffles brûlants ?...
- Comme un grenat son cœur sombre en lui porte
- (Rouge tison couvant un feu cruel)
- Une larme où survit une tristesse morte,
- Virtuelle lueur d'un éclair éternel....
- Toi qui sais, qui vois, qui chantes... Poète !
- Révèle les vouloirs secrets de cette fleur
- Voluptueuse, ténébreuse, si parfaite
- Dans les empourprements de sa noirceur.
- Sang de l'âme blessée, ô larmes, vaines larmes,
- Amer et doux torrent, coulez du haut séjour
- Où réside la source intime des alarmes :
- Les longs désirs des nuits, les longs regrets du jour !
- Tombez, abreuvez-nous, larmes, vivantes larmes,
- Des mystiques douleurs de l'Amour.
- Ce n'est pas dans mon corps que mon âme palpite....
- Elle est entre ses mains, sur ses lèvres, ses yeux...
- Et mon cœur dans le sien bat plus fort et plus vite
- Comme une roue ardente autour de ses essieux
- Ma vie est entraînée et gravite !
- Ah bien-aimé ! sans fin, amèrement aimé,
- La chair doit endurer que l'âme la déchire ;
- Jamais ce que l'amour a vainement semé,
- Ne moissonne l'Espoir sur les champs du délire....
- Le bonheur est toujours affamé !
- Et loin de toi ma vie est la déserte image,
- Le simulacre obscur de ma mortalité :
- Ce qui reste de moi n'est qu'une vide cage
- D'où s'est enfui l'oiseau par l'orage emporté....
- Mais.... laissant aux barreaux son plumage....
- Tels, tissés de soleil soyeux dans un coffret,
- Contemple ces cheveux morts d'une tête morte....
- Semblance formidable !... Ironie !... On dirait
- Que cette pauvre tresse est plus divine et forte
- Que l'être que son flot d'or paraît !
- Tombez, abreuvez-nous, larmes, ô claires larmes,
- Pluie.... écumes.... rosée.... à l'envi, tour à tour ;
- Dans votre sel brûlant nous retrempons nos armes
- Pour l'attente des nuits et les refus du jour...
- Pleurs de glace ou de feu.... coulez, stériles larmes....
- Faites-nous pardonner à l'Amour.
Tola Dorian