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lettres se suivent à la queue-leu-leu, une grande
paresse d'esprit, enfin, nous font croire que les
personnages des temps historiques s'exprimaient
avec la même gravité pompeuse que la Rodogune
de Corneille ou la Mérope de Voltaire ; on
ne fera jamais admettre à un homme sérieux et
instruit que César Auguste ait jamais pu appeler
sa femme : « mon petit cœur », ou « mon petit
œil », ocellus; ces mots-là et d'autres ont dû
être inventés par les Jésuites quand ils faisaient
des vaudevilles — en latin ! Aurier n'avait point
de telles créances, un peu naïves, et dans Irénée
il mêle toutes les époques et tous les mythes, il
pratique bravement ce que les critiques appelent l'anachronisme, — comme si, pour un poète ou
un écrivain idéaliste, il y avait des chronologies,
— comme si, depuis «les temps les plus reculés»,
aucun document eût jamais pu faire supposer au
plus féroce érudit que les cellules du cerveau
humain vibraient il y a six mille ans autrement qu'aujourd'hui.
Disons plutôt que tout se passe dans le rêve —
et que le Rêve est toujours identique à lui-même,
et que Gauguin ne s'est pas ridiculisé autant que
le croient des sages en introduisant « des coiffes
et des fichus de Ploërmel, des Bretonnes, et de
cette fin de siècle (I), dans un tableau qui s'intitulera Lutte de Jacob avec l'Ange, — et qu'Irénée
a le droit de converser avec un archange,
même en un temps où les Dominations sont
muettes.
Poète, Aurier l'est encore jusqu'en sa critique
d'art. Il interprète les œuvres, il en rédige le commentaire,— esthète, peut-être, mais non pas
esthéticien, et la valeur de sa critique, presque
toujours positive, tient en partie au choix qu'il