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distinction qui n'a guère jamais été faite en critique littéraire; elle est pourtant capitale. Il
n'y a pas un rapport constant ni même un rapport
logique entre ces deux manières d'être ; on peut
être fort intelligent et n'avoir aucun talent ; on
peut être doué d'un talent littéraire ou artistique
évident et n'être qu'un sot; on peut aussi cumuler
ces deux dons : alors on est Gœthe ou Villiers
de l'Isle-Adam, ou moins, mais un être complet.
Aurier manqua de quelques années pour s'harmoniser définitivement. Il en était encore à la
période où l'on ressent une si grande tendresse
pour toutes ses idées qu'on se hâte de les revêtir,
même d'étoffes un peu frustes, de peur qu'elles
n'aient froid dans la chemise aux notules:
d'ailleurs, presque rien de ce que nous connaissons
de lui, en fait de vers, n'avait reçu la suprême
correction.
Mais que l'on ne prenne pas cette opinion
pour absolue; sans parler de quantité de vers
inédits que j'ignore encore, je connais d'Aurier
des poésies très pures et d'art complet. Quelle
objection, par exemple, contre le Subtil Empereur?
Le voici:
En l'or constellé des barbares dalmatiques,
La peau fardée et les cheveux teints d'incarnat,
Je trône, contempteur des nudités attiques
Dans la peau royale où mon rêve s'incarna...
Je regarde en raillant agoniser l'empire
Dans les rires du cirque et les cris des jockeys,
Et cet écroulement formidable m'inspire
Des vers subtils fleuris de vocables coquets !...
Je suis le Basileus dilettante et farouche!
Ma cathèdre est d'or pur sous un dais de tabis...
Quand je parle, on dirait qu'il tombe de ma bouche
Des anges, des saphirs, des fleurs et des rubis ..(5)
Et quelle objection contre le Sarcophage vif? (6) Cette ironie n'est-elle pas sertie dans l'or des