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Le consentement de toute la race tomba, comme
une bénédiction, sur le front de la fiancée.
J'étais prés d'eux : le grand voile flottait autour de
ma tête, car le vent d'une fenêtre ouverte l'avait
gonflé, et il me sembla qu'un souffle de passion
nous envolait, Édith et moi, la pâle, la blonde Édith
et moi , vers le paradis des amants parjures.
Revenue aux côtés de sa mère, elle fixa un instant
sur moi ses yeux assombris, puis, brusquement,
sous le tulle déroulé se déroba toute, — à jamais !
L'ironie des cruels syringas entra par la fenêtre
ouverte.
Elle fut mariée.
Pendant la cérémonie, il me plut de répondre
tout bas : oui ! à l'interrogation du prêtre, et je
courbai la tête quand les mains sacerdotales s'étendirent pour ratifier, au nom du Très-Haut, le serment sacré des époux.
Alors, me remémorant de vieilles études théologiques, je songeai qu'en tout sacrement il y a la
matière et la forme, l'essence et le mode imposé par
les rites pour en dispenser aux fidèles les bienfaits
mystiques : et dans le mariage, la forme, ce n'est
pas la bénédiction de l'officiant, ce n'est pas la messe,
c'est le consentement mutuel, — et cela seul.
« Va, femme d'un autre, bien que le monde doive
me refuser les joies, après tout bien dérisoires, de
la possession, de ce qu'il appelle la possession, — en vérité tu m'appartiens. Notre Dieu connait notre
mutuelle volonté, et cela suffit — cela seul. »
Et je me réjouissais amèrement, car le prêtre
disait : « Quelle soit uniquement attaché à son
mari et qu'elle ne souille d'aucun commerce illégitime le lit nuptial... »
Je partis, tel qu'un voleur.
Les merles ne chantaient pas encore au faîte des
lourds marronniers et les cruels syringas dormaient
enfin, — fanés, aussi fanés que les vieilles impudicités, aussi fanés que les souvenirs des jeunes concupiscences...
Remy de Gourmont.