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coule dans ses brins. L'homme grave qui se promène à soif. Déjà, il arrondit ses deux mains. Mais il craint de s'abaisser, en se baissant pour boire. Ensuite l'homme grave a faim. Mais sa pudeur l'empêche, la fausse, la sotte, de s'offrir à genoux un dîner d'herbe fraîche !
Lents et tranquilles, les grands bœufs viennent boire. Le dos en ligne, ils boivent. C'est à peine si l'eau tremble. Enfin, rafraîchis, non grisés, ils relèvent la tête en même temps et s'en vont, comme ils étaient venus, sagement. Mais l'un d'eux s'attarde. Le bouvier très doux a beau lui piquer, sans malice, les écailles de crotte qui pendent à ses fesses : l'un d'eux s'attarde, et, les sabots plantés en terre, s'oublie à contempler l'image de ses cornes.
Le chasseur s'est assis près d'un tronc, le canon de son fusil appuyé sur une branche. Il écoute le bois s'endormir. Les arbres prennent des apparences humaines. Toute la paix du soir entre dans son cœur. La lune et lui se sourient. Bientôt, il pose son fusil près de lui, et, faisant avec ses doigts des gestes d'imitation, remuant faiblement la tête comme pour marquer la mesure, le bon chasseur sans rancune, regarde les lapins danser leur menuet.
Tout le jour, semblables à des épouvantails en vie, des êtres effrayants ont coupé le raisin. Au pied des ceps, des feuilles rouillées s'efforcent, en voletant, de raccrocher leur queue à quelque