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due, à un épais drapeau taillé dans une viande
livide éclaboussée d'éclats de bronze... Et le soleil,
le soir, prend les fumées désespérées, les
rousses, pour s'en nimber à son couchant !...
Elles se lèvent lentement des marécages malsains,
les fumées mauvaises et sournoises ; à leur
tour, par les temps du renouveau, les crépuscules
tièdes, elles montent en vapeurs suffocantes,
portant la fièvre de la terre, tous les miasmes pestilentiels, se dégageant des pourritures secrètes ou
des tas de fleurs expirées. Elles sont douces, enveloppantes, comme la fantaisie d'une femme.
Elles se réunissent mollement, elles partent pour
aller étouffer dans une étreinte caressante l'azur
qui rit, le soleil qui se moque... Et le soleil les
arrête à mi-chemin, les pulvérise pour les jeter,
au printemps, en poignées de pollen sur les
grandes prairies vierges...
Elles montent,les fumées inutiles ; toutes, aussi,
elles montent, courageuses, indépendantes,
les unes ballottées sur le caprice des vents du nord,
les autres frêles, ténues, mais féroces comme des
blasphèmes d'enfant. Il y a les soupirs d'amour
et les soupirs d'agonie durant les nuits d'hiver.
Deci, delà, un flocon blanc pur : l'haleine d'un
poète qui se réchauffe en soufflant dans ses doigts
transis. Un flocon bleuâtre : la fumée du cigare
que savoure l'athée. Un flocon pourpre : l'asphyxie
de la fille abandonnée, buée fusant meurtrière
par la vitre cassée trop tard. Oh ! les fumées
inutiles !... Surtout, par-dessus tout, les inutiles
fumées d'encens ! Elles montent, elles montent...
Et le soleil hautain fait suinter sur les cités maudites
les pleurs des révoltés, les sanglots
des prières, les larmes d'amour, en un brouillard
froid...
Comme une nuée diaphane, elles montent par
les larges cheminées des hospices, les pâles fu-