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Je contemple le crâne aimé de ma maîtresse. | Je contemple le crâne aimé de ma maîtresse. | ||
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J'ai fait coller deux très beaux lapis-lazulis; | J'ai fait coller deux très beaux lapis-lazulis; | ||
− | <br />J'ai mis artistement sur l'os blanc de sa nuque, | + | <br /><br />J'ai mis artistement sur l'os blanc de sa nuque, |
Poli comme un ivoire, un vieille perruque; | Poli comme un ivoire, un vieille perruque; | ||
− | <br />J'ai, dans ce faux chignon, répandu ses parfums | + | <br /><br />J'ai, dans ce faux chignon, répandu ses parfums |
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Version du 20 novembre 2014 à 12:56
littéraire en apparence très opposé à ses pen-
chants. Il voyait loin, déjà, et de haut, parmi une
série de poètes fantoches, myopes et criards;
par laisser-faire, par paresse de les mépriser, il
voulut bien être leur dupe et, plus décadent que
l'intelligence de M. Baju ne pouvait le concevoir,
il leur récita des vers où nul ne soupçonna la pa-
rodie, vers « pourris qui sortaient du cerveau
le plus sain et le plus conscient. Mais, de même
que tout n'était pas ridicule dans le Décadent,
tout n'est pas de pure fumisterie dans les vers
qu'Aurier y donnait abondamment; ce sonnet,
Sous Bois, daté de Luchon, août 1886, n'a pas
qu'une valeur de précocité:
Les forêts de sapins semblent dos cathédrales
Qu'ombrent d'immenses deuils. Infinis, sans espoir,
Montent les noirs piliers se perdant en le noir,
Et l'ombre bleue emplit les voûtes colossales 1...
Tandis que, pour voiler l'invisible ostensoir,
Pendent sur les vitraux des loques sépulcrales,
Vagues, passent des chants tristes comme des râles,
Les chants de la forêt à la brise du soir.
— O Temple! Bien souvent je suis le labyrinthe
De tes nefs, par la nuit cherchant' ton Arche-Sainte!...
Mais, en vain! L'horizon, toujours sombre et béant,
Fuit devant moi ; le Vide dort au fond des salles!
— Ainsi, mon cœur, sondant les célestes dédales,
Marche, toujours heurtant l'implacable néant! (i)
Si, après cette estampe romantique, j'extrais du
même recueil la Contemplation, on aura peut-être
une idée assez juste d'Aurier très jeune, partagé
entre le vouloir d'être sérieux et 1'amusement de
ne pas l'être:
Le cœur inondé d'une ineffable tristesse,
Je contemple le crâne aimé de ma maîtresse.
Dans ses orbites creux, d'épouvantes remplis,
J'ai fait coller deux très beaux lapis-lazulis;
J'ai mis artistement sur l'os blanc de sa nuque,
Poli comme un ivoire, un vieille perruque;
J'ai, dans ce faux chignon, répandu ses parfums
Préférés (souvenir de mes amours défunts);