À Henry d'Erville.
L'Usine ahane, écume et geint sous le ciel clair.
Au centre buissonneux des plaines alarmées
Ses fièvres, ses flambois, ses fracas, ses fumées
Exhalent une tache orageuse dans l'air
Et toisonnent le haut de son échine dure.
Comme une chienne oscille et quête en la verdure,
ague bête, aux yeux roux, apeurant de son flair
Les planantes amours dont l'azur se constelle
Et dont les gazouillis semblent fuir devant elle,
L'Usine ahane, écume et geint sous le ciel clair.
En costume princier que connut le servage,
Le Printemps arborant sa perruque à frimas
Étale la gaîté d'ironiques damas.
L'insidieux encens de la flore sauvage,
Le trille insinuant qui repeuple les nids,
Les fredons chuchotés des vieux troncs rajeunis
Circonviennent les cœurs qu'une langueur ravage.
L'Usine, froide à tous ces frissons palpitants,
A l'aspect sale et gris des rapaces traitants
En costumes princiers que connut le servage.
Pareil au flot perlé des alcools stimuleurs,
L'Été giclant sous qui tout se grise et s'altère,
Comme une vaste enclume éclabousse la terre,
Fournaise en la clarté qui pleut sur ses douleurs,
L'Usine ronfle et bout ; sa ruche s'exténue
À la peine, et parmi la promiscuité nue
De son dépoitraillé labeur suant ses pleurs,
Parfois de brusques ruts étanchent leurs furies
À l'enivrant lac blond des jeunes chairs meurtries
Pareil au flot perlé des alcools stimuleurs.
IV
l'automne
Le temps morne est plus bis que le pain du salaire.
L'épargne de l'Automne enterre les trésors
Des arbres ruinés semant leurs derniers ors.
Dans le matin phtisique un grand disque solaire
Bâille, lugubre : son rouge trou pantelant
Semble la bouche des fourneaux chauffés à blanc ;
Et rude aux meurt-de-faim que sa voix accélère
La cloche sonne son appel haï de tous ;
Symbole ricaneur de leurs quintes de toux !
Le temps morne est plus bis que le pain du salaire.
l'hiver
Sur la route sans fin au travail gémissant
Rôde l'Hiver d'un pied ouaté d'homme qui tue…
Des baisés purs dont la pudeur s'est dévêtue
Sont allés mendier la lèvre du passant…
Un cri de mort jaillit ! Mort sans doute bénie !
Et dans l'inconscient dédain de l'agonie
Que montre le poignard damasquiné de sang,
Tandis que l'un enlace et que l'autre foudroie,
Le Z de la bielle et le 8 de la courroie
Vont leur route sans fin au travail gémissant.
la nuit
La Cheminée en feu que le vent échevèle
S'érige dans la Nuit dont les larmes d'argent
Évoquent les sanglots d'un chômage indigent,
Et sous la noire paix du deuil tout se nivèle.
— Courage, pauvre gueux que la misère abat !
C'est du fumier de ton prolifique grabat
Que sont nés les forgeurs de l'Aurore nouvelle,
Aurore de bonté qui rêve le pardon…
Mais ce sera peut-être un terrible brandon
La Cheminée en feu que le vent échevèle !
Paul Roinard.