Cœur double, par Marcel Schwob, avec une Préface de l'auteur (Ollendorff). — Voir page 107.
Mœurs littéraires, Les Lundis de « La Bataille », — 1890-1891, par Camille de Sainte-Croix, avec un avant-propos de l'auteur (Savine). — Voir page 65.
L'Éléphant, par Charles Merki et Jean Court (Savine). — Voir page 112.
Les Fastes, par Stuart Merrill (Vanier). — C'est une facétie, déjà traditionnelle parmi les princes de la critique, que de reprocher à certains des poètes nouveaux de n'être point nés à Paris et par conséquent de ne pas savoir le français spécial à Henry Fouquier, Hector Pessard et autres maîtres : les Allemands, moins subtils il est vrai n'ont point
encore renié Adalbert de Chamisso (2), bien que l'auteur de Peter Schlemihl fùt venu en ce triste monde au château de Boncourt, en Champagne. Je crois donc utile d'apprendre à ces messieurs des journaux que Stuart Merrill fit toutes ses
études au Lycée Condorcet, où dès ses quinze ans il eut l'ambition de devenir poète français; et qu'en 1887 il montra, dans un volume intitulé Les Gammes, qu'il connaissait beaucoup mieux « notre langue » que les plus éminents des chroniqueurs.
Les poèmes réunis dans Les Fastes ne mentent point à leur titre: c'est un charme de danses crépusculaires (Thyrses), d'aventures héroïques (Sceptres), de sanglantes fêtes (Torches). Viennent d'abord, en des parcs où pâlissent les marbres, sous les charmilles caressées par les gavottes et les pavanes, des bouffons mélancoliques et des princesses vêtues de frissonnante soie, qui glissent au clair de lune et écoutent un jet d'eau qui charma quelque royal loisir. Puis ce sont les Sceptres, la partie capitale du livre, une série de mythes, empruntés à Wagner ou — ce qui est mieux — créés; là, deux poèmes arrêtent l'admiration : Le Palais désert — une enfant de rêve pleurant le prince de son désir - et surtout le Conte, dédié à la mémoire d'Ephraïm Mikhaël — le chevalier qui meurt près de la mer en se souvenant de celle qu'il aima mystiquement et dont le cor vermeil fait surgir des vagues le cortège des sirènes.
Le troupeau des Tritons soufflait, l'écume aux tempes,
Dans les conques; le vent, secouant son sommeil,
Soulevait l'algue échevelée au bout des hampes.
Et vers le crépuscule, en ce noble appareil,
La barque déroula son lumineux sillage:
Et le Héros entra dans l'orbe du soleil,''
Enfin dans un décor de pompeuses funérailles, sous un ciel de sable et de gueules, la cavalcade de la mort passe, des reines mauvaises cueillent la fleur d'enfer
Au bord du fleuve noir où stagne l'or des astres,
la cité rouge des damnés s'étage et monte, et l'éternelle idole, chargée de rubis, regarde silencieusement les danses des jeunes hommes, des baladins et des poètes.
Tel est le livre de Stuart Merrill. Je lui reprocherais presque trop de richesses, trop de gemmes, trop de métaux précieux, une profusion d étoffes rares; de même, dans la contexture du vers, je regrette l'abus de l'assonance et de
l'allitération qui lassent parfois comme de trop longues caresses:
Et l'aurore en le lac rosit les eaux moroses
S'endorment dans l’orgueil de leurs corolles d'or.
Par une mystérieuse correspondance, l'assonance en or revient le plus souvent en ces somptueuses évocations; il n'est pas une page peut-être où elle n'éclate, fanfare de triomphe ou de mort. Elle se retrouve dans le premier vers de ce court poème,qu'il convient de citer: il montrera - mieux que toute glose - la beauté des Fastes.
Accoudée au rebord d'or de la balustrade,
La Resne, ayant les yeux las de la mascarade,
Saccage de ses doigts ensanglantés de bagues,
Sur les eaux de cinabre aux rutilantes vagues,
Des rhododendrons roux, des lilas et des roses,
Qui vogueront, au loin de ces jardins moroses,
Vers le Prince parti pour d'âpres épopées
Dont l'étendard, parmi la pompe des épées,
Ondule en plis d'azur purs de toute macule
Contre l'or et le sang d'un dernier crépuscule.
P.Q.
Ce qui renait toujours, par Jean Carrère.- Voici un volume de vers dont la couverture ne se surcharge d'aucun nom d'éditeur, d'aucune adresse de librairie achalandée. L'auteur a pris le parti de se passer purement et simplement de cet intermédiaire inutile. C'est un acte de courage dont il faut lui savoir gré. Si l'on s'en tenait à la préface qui ouvre le volume, on serait tenté de le fermer sans le lire. « Le livre que je t'envoie, dit Jean Carrère, n'est pas un livre littéraire et je serais navré qu'on pût le prendre pont une œuvre d'art. » Voilà qui est net. Mais rassurons-nous, il n'y a là qu'un malentendu: question de définition. « L'art, poursuit-il, est une échappée hors de nous-même, un repos cherché dans la splendeur ou le charme indifférent des choses... » Or, pour Jean Carrère
Le poète est celui qui penché sur la foule,
Sentant monter l'appel houleux de ses sanglots,
Va projeter, malgré l'écume qu'elle roule,
Le flambeau de justice au plus noir de ses flots.
Et le voilà qui échafaude une généreuse théorie d'écriture d'action, — je n'ose dire utilitaire, - s'érigeant en une sorte de Tyrtée d'une foi d'ailleurs mal définie, et confondant, en sa hâtive indignation, le dilettantisme et l'art. De là, nouvelle confusion : par horreur de la poésie de mots, de l'art poétique, M. Jean Carrère tombe presque dans l'éloquence, dans l'art oratoire. Je ne vois pas bien ce que nous pouvons y gagner. Heureusement, et malgré ses théories, Jean Carrère est un
L. Dse.
Théâtre (Madame la Mort, Le Vendeur de Soleil, La Voix du Sang), par Rachilde ; avec une préface de l'auteur et un dessin inédit de Paul Gauguin (Savine). — Le misonéisme, c'est-à-dire la haine du nouveau, telle est la caractéristique intellectuelle de la critique actuelle en France et spécialement de la critique dramatique. Oh ! un tour nouveau, oui ! une idée nouvelle, non ! une forme nouvelle à cette idée, non ! Il y avait du neuf d'intention et de fait dans cette Madame la Mort que nous applaudîmes cet hiver au Théâtre d'Art, pièce réellement dramatique et savamment agencée pour la scène, mais sans nulle concession de moyens, — au contraire. Le second acte se passe dans un cerveau ; ce cerveau est un jardin ; un homme est assis sur un banc dans son propre cerveau, — là converse avec deux femmes élémentaires, aussi élémentaires que la Vie et la Mort : M. Pessard, qui comprend les dires de Kam-Hill, ne comprendra jamais cela : ce n'est pas assez banal. Maintenant, Rachilde a-t-elle absolument réussi son drame cérébral ? n'y a-t-il rien à reprendre dans les idées exprimées dans les arguments des deux Femmes élémentaires, dans leur ténue ? La Mort fut, je crois, bien supérieure à la Vie, - mais n'est-ce point fatal ? Tout de même il demeurera plus que flatteur, presque glorieux, si l'on permet, pour Rachilde, d'avoir émis cette belle ironie. — J'aime beaucoup moins la Voix du Sang, mais le Vendeur de Soleil est une merveille d'ingéniosité. — Trop de documents au commencement du volume et surtout à la fin : les vrais documents, pour l'histoire du théâtre, ce sont les trois pièces.
R. G.
Phoenix, seu Nuntius latinus internationalis(London, 1890-1891, fasciculi I, II, III). — Est organum consociationis cui titulus Societas internationalis latinitatis modernae et cujus finis est reddere latinitati pristinam practicam utilitatem nuper abolitam prout lingua universalis. Tentenda via est ! Per se enim tale conatum non venit vanum, sed difficilis erit efficientia nisi omnes qui sciunt latinè ad illud concurrere dignentur. Volapuckus, credo, mortuus est ridiculo strangulatus ; latinitas autem quae non potest mori, invito odio fatuorum, ignarorum necnon ludimagistrum, clarè signata est ut locum occupet. Lingua maximè flexibilis, apta ad omnia enuntianda, mater verbalitatis scientificae, receptaculum neologicum ubi hausit indesinenter antlia necessitatis, ditata tandem litteraturà immensà, ex quo dodrans ignotus, latinitas restauranda est ; — Adhaesio ad dictam Societatem est omnino gratuita : acciputur apud Davidem Nutt, 270, Strand, London.
Quantum effici potest, latinè scribitote, dummodo ut nomina locorum vel personarum servaverint vulgarem et nationalem seu gentilitiam aut barbaram orthographiam.
R. G.
Sommeil, par Robert Scheffer (Librairie des Bibliophiles). — Pas du tout mauvais, ce livret, et même plutôt très séduisant par un excès d'art, et aussi un peu monotone. - mais dans les notes hautes. Suite de rêves : voilà le factice. Cela doit-il vraiment nous déplaire à nous qui rêvons, sinon d'une vie, d'une façon de vivre en pensée purgée des réalités tant illogiques. Des pages sont très belles, telle la page où les âmes mortes boivent la joie du nouveau mort, mort nouvelle ; puis la douleur du nouveau mort, — douleur suprême. « ...Et quand elles eurent épuisé ma douleur, je fus semblable à elles, indifférent comme elles, et je compris que l'enfer c'était l'indifférence... » Ensuite, des vers nullement médiocres ; ensuite un poème en prose d'une noble langueur d'amour inespérant : des poèmes encore, prose où vers, avec des ressouvenances de poésies populaires interprétées sans opprimer l'originalité du dire traditionnel. Çà et là, du romantisme, moins plaisant. - qui n'est peut-être que de l'exotisme ; ce volume en effet nous vient de Bucharest, des entours de Sa Littéraire Majesté la reine de Roumanie. Œuvre, en somme, peut-être pas assez personnelle, trop objective, mais pourtant grandement louable, d'une qualité d'art pas fréquente.
R. G.
A se tordre. Histoires chatnoiresques, par Alphonse Allais (Ollendorf). La librairie Ollendorff publie un recueil des nouvelles dont Alphonse Allais, avec une fine invention et une fécondité remarquable, illustre hebdomadairement le Chat Noir et quelquefois aussi le Gil Blas. « Lorsque je fus parvenu, dit le héros d'une histoire intitulée Abus de pouvoir, à l'âge où les jeunes hommes choisissent leur carrière, j'hésitai longuement entre l'état ecclésiastique et la chapellerie. » Alphonse Allais lui aussi a hésité : après avoir fait, dit-on, d'excellentes études chimiques, il finit par suivre tout bonnement son penchant et laissa déborder la verve drôlatique et le comique de bon aloi dont la nature l'avait si abondamment pourvu. Et si je parle de l'auteur c'est que, comme l'observe Camille de Sainte-Croix, il est peu d'hommes dont l'écriture renferme aussi absolument les attitudes, les gestes, les inflexions de voix, la manière d'être enfin, la personnalité toute entière. Nous n'essaierons pas de dire de quoi est fait l'irrésistible et singulier comique de ces histoires. Cela est drôle d'une drôlerie aussi spontanée qu'imprévue, faite de rapprochements inattendus, de détails d'une précision cocasse et d'ineffables a-parte. « Il était vraiment temps que je fisse d'Angéline ma maitresse, car, le lendemain même, elle allait mal tourner ». Alphonse Allais, même quand il frise le macabre, comme dans Collage ou Pour en avoir le cœur net, reste drôle et donne le rire, mais ne l'arrache pas. Il ne faut pas dédaigner le rire.
L. Dse.
R. G.
Le Canard Sauvage — Rosmersholm, par Henrik Ibsen, traduction de M. Prozor (Savine). — M. Albert Aurier a parlé du Canard Sauvage, dans un précédent numéro du Mercure, à propos de la représentation Antoine ; il n'est pas utile d'y revenir. La seconde de ces pièces, Rosmersholm, aurait sa place au Théâtre d'Art, avant des poèmes peut-être plus beaux, mais qui ne furent pas écrits pour la scène et qu'il est toujours pénible de voir massacrer. Rosmersholm, le vieux domaine de Rosmer, c'est pour Ibsen l'emblême de l'ancien esprit familial et religieux qui agonise, harcelé encore par les démocraties du progrès, les idées nouvelles, les grandes et creuses déclamations de la sociologie. Ces âmes de Norvège en sont encore à se passionner pour l'émancipation intellectuelle, le combat des principes, le rachat de l'humanité, et autres calembredaines que nous laissons depuis longtemps aux politiciens des feuilles à un sou. Kroll le conservateur et Mortensgaard le progressiste (encore un qui est disqualifié !) se livrent de sérieuses batailles avec le Phare et le Journal du District. Le drame est d'ailleurs tout dans l'antagonisme du nouvel esprit, inquiet et avide — personnifié dans Rebecca West l'aventurière — et du milieu poétique et dissolvant, séducteur et morbide de Rosmersholm, sur quoi pèse l'esprit de renoncement et de sacrifice de dix générations. Rébecca veut conquérir Rosmer, conscience pointilleuse, être versatile et faible et se trouve à son tour gagnée. Mais le vieil esprit d'abnégation ne connaît pas le bonheur ; il est trop pointilleux, trop à la recherche de la conscience pure. Par les circonstances de l'action, Rosmer et Rebecca doivent lancer par-dessus bord le bagage des préjugés, devenir amant et maîtresse, s'en aller loin du pays hostile à ces escapades. En Norvège, on est resté romanesque. Ils ne trouvent la liberté que dans la mort.
Symboliques ou non – aujourd'hui on fourre du symbolisme partout — les personnages de ce drame donnent bien l'âme du Nord. Ce Rosmer, cette Rébecca m'arrêtent et m'amusent : – Ils vivent unis, deux ans, dans la même maison, porte à porte ; ils s'aiment et se tutoient, frère et sœur en Saint-Simon, et ne songent même pas à coucher ensemble : – moi, je trouve ça très curieux !...
C.Mki
Les idées morales du temps présent, par Edouard Rod professeur à l'Université de Genève (Perrin et Cie). – Livre très attirant par l'originalité de la pensée, non moins que par la nouveauté et l'à-propos des sujets traités, — que voici : M. Renan, Schopenhauer, MM. Zola, Bourget, Lemaître, Scherer, A. Dumas fils, Brunetière, Tolstoï, de Vogué. Articles de revue réunis sous un titre factice qui veut prendre des airs de nécessité. – car, enfin, les idées morales de M. Zola ? Tout cela est d'un pédantisme qui avoisine le comique, d'un trissotinisme de sacristie universitaire drôle à force d'être lamentable. M. Rod est vieux, vieux, vieux, plus vieux d'idées et de style que feu M. Caro, – et il a encore moins de talent ; il en a si peu que c'en est scandaleux. Il y a une Conclusion qui préconise le Médiocre : « Les isolés ne sont que des excentriques : c'est avoir tort que d'avoir raison tout seul... » : M. Rod a raison, – oh ! comme il a raison : reconnaissons-le pour en finir.
R. G
P. S. – La Préface porte que M. Jules Lemaître est surtout un « intellectuel ».
Suggestion, par Henri Nizet (Tresse et Stock). — L'auteur a pris comme sujet l'histoire d'un cas pathologique entièrement rare, car, à notre connaissance, il n'en existe guère dans la science que des exemples peu nombreux, rapportés entr'autres par Ramsbotham (3) et Quain (4). Un candidat névropathe, Paul Lebarrois, rencontre au cours d'un voyage en Bukovine – le hasard est un bien complaisant metteur en scène — une jeune femme facilement hypnotisable. Naturellement, il profite de ces dispositions particulièrement commodes pour tenter de pénétrer dans son intimité. Cependant il n'y parviendra pas entièrement ; Séphorah, en effet, par suite de sa curieuse malformation physique, ne saurait
jamais devenir complètement femme. Suit alors un amas insuffisamment digéré de notions médicales, surnageant sur fonds d'hypothèses très peu vérifiées. Nous assistons ainsi à de multiples expériences de suggestion et de télépathie — à ce propos « Phantasm of the Living » doit difficilement se trouver sur les quais, la traduction française de ce travail dû à la Soc. for Psych Res de Londres, venant seulement de paraître — et même à des séances d'occultisme, le tout du reste des plus intéressants. Enfin, comme un dénouement s'impose, Lebarrois, non sans de longues hésitations, fait, fort ingénieusement, se tuer sa maîtresse, qui commence à l'embarrasser. Nous nous attendions plutôt, étant donné le genre dangereux des distractions auxquelles ils s'adonnaient, à une folie à deux, ou à un crime plus impulsif, semblant indiqué.
Bien que ce livre soit écrit dans une manière aisée, souvent agréable, on y sent peut-être trop, non seulement cette constante préoccupation d'étalage pseudo-scientifique, mais encore une facile complaisance en des détails plus que légers. Au fait, ce dernier défaut paraitra sans doute un mérite à quelques-uns.
G.D.
Les Bons Parents, par Hubert Krains, (Bruxelles, Alfred Castaigne), — Quatre nouvelles : Les Bons Parents, Consolatrix, Le Bonheur des autres et La Cité Mercantile, remarquablement écrites. Les Bons Parents, ces meuniers qui vendent leur fils bossu à un saltimbanque, ont des remords, puis finissent par ne plus en avoir, sont deux types bien trouvés et bien rendus. Pas de psychologie entortillée sur elle-même, mais des faits bien nature qui en prouvent plus long que les plus longues dissertations. Un style d'une pureté triste, et froide, une ironie d'autant plus forte qu'elle semble s'ignorer: on aperçoit l'œuvre tout de suite comme une statue couchée au fond d'une eau limpide, cela vous repose et vous fait froid en même temps. Les quatre nouvelles de M. Hubert Krains valent une trentaine de ce qu'on appelle communément de bons livres. Il convient d'ajouter, en passant, que l'auteur belge a toujours à un plus haut degré que l'auteur français le sentiment de sa dignité d'écrivain.
***
La Comédie des Amours, par Édouard Dujardin (Vanier). — Le vers libre, et même libertin, préconisé par M. Dujardin et en ce tome, après d'autres, offert à nos loisirs, n'est pas médiocrement distrayant, ni réconfortant. Distrayant, parce qu'il assume des formes telles que :
- ... Où sont vos cavaliers si beaux?
- Ils boivent le Montebello ;
ou que:
- Ré, mi, fa, sol..,
- Ton âme a quitté le sol.
- Fillette, fillette,
- Dans l'inconnu tu te jettes.
Réconfortant, parce que, toutes les vieilles chinoiseries de la versification tant vieille que neuve se trouvant abolies, chacun, désormais, peut faire des vers, sans même avoir appris à lire (sic). Maintenant, peut-être faut-il être réellement doué de talent pour en montrer si peu? Mon avis est que M. Dujardin se trompe de route et je crois qu'il finira bien par le reconnaitre, car il est très intelligent.
R. G.
Élévations poétiques, par Paul Gabillard (Sauvaitre). - Un volume compact de vers qui sont toute la prime jeunesse littéraire de l'auteur. Beaucoup de ces poésies sont datées, et, à comparer les premières nées aux dernières écloses, on regrette que M. Paul Gabillard ne se soit point résolu à quelques sacrifices nécessaires. De ci de là de belles promesses, que, nous n'en doutons pas, l'auteur des Veilleuses saura tenir.
A. V.
La France politique et sociale. Année 1890, 2 vol. in-I8, par A. Hamon et G. Bachot (Savine). — Les auteurs, sont persuadés que lorsque l'année politique est finie le moment est venu de la revivre. Pour cela, ils ont rédigé ces deux volumes, au moyen de quoi nous pouvons, par exemple, assister à la séance de la Chambre du 20 octobre défunt, séance, à ce qu'il paraît, digne de mémoire. Il ne faut pas davantage médire de ce travail qui sera grandement serviable pour tous les hommes politiques, administrateurs, journalistes, chroniqueurs, historiens. C'est la condensation en 700 pages de deux ou trois mille numéros de journaux. Chacun, à l'occasion, peut avoir à consulter tels chapitres où sont détaillées d'intéressantes questions : ainsi, en le chapitre XI (novembre), sur la dépopulation, l'infécondité,le malthusianisme, des documents sont collectés dont je prétends user un jour — avec la permission des auteurs — pour dire le contraire de ce qu'ils laissent entendre. Livre utile, très bien ordonné.
R. G.
Le Péché d'Autrui, Par Pierre Bertrand (Savine). — Ce livre pourrait s'appeler La mère coupable, ou Les suites d'une faute, ou La faute d'une mère, titres d'un sentimentalisme plus alléchant; M. D'Ennery en tirerait un feuilleton de vingt mois, une Pièce pour l'Ambigu et trois tomes chez Dentu, lesquels feraient bien ensuite 12 volumes dans les auteurs célèbres de Marpon et 300 livraisons à deux sous. — Par cela, il faut avoir quelque reconnaissance à M. Pierre Bertrand; son roman n'a que trois cents pages ; sur un sujet horriblement quelconque, il a écrit un peu de littérature; même, de fines et jolies pages comme la Confession de Francine (cap. xix) - nous prouvent que les femmes, surtout après le péché, sont capables de tous les dévouements et qu'un bon jeune homme très riche sera très malheureux s'il ne sait pas employer sa fortune. - Ceci ne me ferait point de peine si je n'y voyais beaucoup de talent gaspillé. Voyons, M. Bertrand, laissez les Delpit, Ohnet et Rameau s'ébattre dans la
porcherie ; ils mangent du gland et font caca des histoires morales; n'ayons pas-l'air, au moins, de jalouser leur industrie.
C. Mki.
Zézette par Oscar Méténier(Charpentier)— Histoire dramatique et authentique du Voyage, ou mieux du monde forain. En somme, un roman intéressant dans le genre du roman pittoresque. Le livre débute par une scène fort habile et qui est bien faite pour désarmer tout un peuple de critiques grincheux. Un dompteur, le nommé Chausserouge, jette à ses fauves qui crèvent de faim un vieil usurier dont la dureté remplace à merveille le traditionnel morceau de cheval... Par çi par là s'ouvre, comme un myosotis au milieu des chardons, l'œil limpide et pur de Zézette, la fille de Chausserouge,
qui a vu le crime et doit venger la morale. L'étude des mœurs foraines est faite avec des documents sérieux, et par instant on laisse le drame pour s'occuper de jolis tableaux peints d'après nature : la baraque des photographes, la roulotte des femmes algériennes, les grands théâtres du Voyage et leurs dessous, l'éducation de l'ours la Grandeur, si connu, ce bon ours, de tous les amateurs de la foire au Pain d’Épice !... Eh bien ! mais, j'aime mieux ça que l'éternelle psychologie : c'est plus propre.
***
Désarmement ? Parfaitement, par Henry Fèvre (chez tous les libraires: 25 cent.). — Fantaisie pleine de bon sens, dans laquelle l'auteur se raille des braillards du patriotisme et démontre la sottise, au point de vue social, des idées revanchardes. Il n'est pas mauvais que soient dites de temps à autres ces choses que pensent tant de gens.
A. V.
La Peur de la mort, par François de Nion, Préface de Camille Lemonnier (Savine).— La vie d'un homme du monde intelligent ombrée par la terreur du grand X qu'est la mort. Le comte de Feysin-Cransac ne représente pas un névrosé. Il mène une existence normale et un naïf se contenterait de sa part de bonheur, mais différentes circonstances le font se pencher sur l'abîme, peu à peu l'abîme lui donne le vertige et finit par l'absorber. Il meurt d'avoir eu peur de mourir. Il ne s'agit pas d'un efféminé ou d'un fou, il s'agit d'un homme sain qui tombe naturellement pour s'être, un jour, trop penché... Ce roman est le livre qu'il fallait écrire sur ce sujet, et non pas une histoire quelconque, de parti-pris paradoxale. Solidement écrit, il se termine par des pages : Les Helminthes, qui sont les plus rationnelles explications de l'au-delà qu'un artiste philosophe puisse fournir. Une belle œuvre pour ceux que l'état de vivant, c'est-à-dire de condamné à mort, n'épouvante point.
***
Histoires d'Amour, par Pierre Bujon (Vanier). — Titre insidieux, quoique simple, car il évoquerait de ces choses croustillantes qu'une stricte morale réprouve... Mais qu'on se rassure : il est l'étiquette nullement fallacieuse d'une dizaine de nouvelles simplettes, écrites sans prétention, parmi
lesquelles je citerai L'Ombrelle de ma Cousine et Les deux Inséparables.
Z.
Histoire des Doctrines de psychologie physiologique contemporaines. Les Fonctions du Cerveau, Doctrines de l’École de Strasbourg, Doctrine de l’École italienne, par Jules Soury Publications du « Progrès médical ». ― Livre d'un savant de belle intelligence, de large et féconde curiosité ; préface d'un sceptique qui sait « combien il serait naïf d'espérer jamais connaître un fait en lui-même, l'essence d'une loi et la nature d'une force : nous ne saurions sortir de nous mêmes et devenir les choses que nous nous représentons de nécessité d'après les structures de notre esprit. Le rapport véritable de nos représentations à la réalité restera toujours absolument inconnu, puisque nous ne pouvons considérer qu'un aspect des choses, et toujours le même, le côté subjectif. » Cette doctrine, purement idéaliste, me semble incontestable; elle transporte loin de l'optimisme ordinaire, de la sécurité dans le néant, des matérialistes invétérés. Je ne puis juger scientifiquement ce gros volume de science, mais il m'apparaît, grâce à une admirable Table des matières, tel qu'un précieux répertoire de faits raisonnés et coordonnés, ― précieux pour tout écrivain qui révère l'exactitude. J'ai vu M. Barrès le manier avec un grand respect.
R. G.
Que faire de nos filles? par *** [B. H. Gausseron].― (Librairie Illustrée). ― C'est, précédé d'une très longue introduction, un manuel des professions où une femme peut gagner sa vie. Les renseignements sont assez précis, entremêlés d’anecdotes et de citations qui témoignent de lectures étendues. Ce livre peut être utile; mais je ne saurais en louer l'esprit. A sa prétendue émancipation la femme ne gagne qu'une misère de plus, l'isolement,― sans compter que, rivale de l'homme, elle est de plus en plus haïe par lui. D'ailleurs, en dehors de l'amour sous toutes ses formes (y compris les œuvres de charité et l'élevage des enfants), la femme n'est bonne à rien, n'arrive jamais qu'à un à peu-près des plus médiocres. Quant aux exceptions, il ne serait pas philosophique de s'en préoccuper à propos d'un livre qui s'adresse à toutes les jeunes filles en quête de cet à peu près à réaliser.
R. G.
Révolution chrétienne et Révolution sociale, par Ch. Malato (Savine).― Il m'a été dit un jour : « Vous ne croyez pas au Progrès, à un meilleur futur, au renouveau proche... Alors, vous devez bien vous ennuyer ! » Il y a parmi les socialistes, non des âmes, mais des esprits d'apôtre ; ils ne s'ennuient pas, eux; ils croient toujours « qu'on rasera gratis, ― demain ». Ce volume d'un actif propagandiste, qui a acquis le droit de crier ses opinions, témoigne d'une noble et incomparable naïveté. Évidemment, la société actuelle périra.― et puis, quoi?... L'humanité est pareille à ces bonshommes de liège à cul de plomb: elle retombe toujours sur ses jambes, lestée par la raison du plus fort. Quant à la justice, ― demain!
R. G.
(1) Aux prochains fascicules : Des Visions (Pierre-M.Olin); Le Nazaréen (Henri Mazel); Pétales de Nacre (Albert Saint-Paul); L'Heure en Exil (Dauphin Menuier); Liminaires (Paul Redonnel); Histoires normandes (Le Trézenik et Willy); Promenades sentimentales (Jean Thorel); Le livre de Thulé (L. Duchosal); L'Eternel Jocrisse (Gustave Chanteclair); La Joie de Maguelonne (A.-Ferdinand Hérold); La Chanson des choses (Louis Malosse); Ephémérides et Chansons (Claude Lauzanne); Mes Dernières nées (Eugène Chatelain) ; Exame de consciencia (A. de Olivera-Soarès); L'Exorcisée (Paul Hervieu); Henrik Ibsen (Charles Sarolea); Les Filles d'Avignon (Théodore Aubanel); Général de Ricard. Autour des Bonaparte (L. Xavier de Ricard).
(2) Cette note a été rédigée le 15 mai : cela pour expliquer une rencontre fortuite avec un article des Entretiens politiques et Littéraires, sous la signature de F. V. Griffin - à qui j'aime témoigner mon estime littéraire autrement que par la plagiat.
(3) Medical Times and Gaz. 20 décembre 1855 — p. 642.
(4) Transact. o the pathol. Soc. London. 1856 vol. VII, p. 271.
Exposition d'une vingtaine d'oeuvres de Renoir,chez Durand Ruel. Voir l'article consacré à Renoir, dans ce numéro, page 103.
Exposition de peintures et de sculptures d'artistes américains chez Durand Ruel. rien de bien génial ou de bien nouveau ; quelques essais timides d'enluminements à la manière impressioniste, mais combien maladroits ; un portrait de Whistler, à la manière du dit, et un chien et petite fille, au pastel de W. M. Chase, des oeuvres diverses de Cox, Frazier, Hale, Hassam,Johnson,Robinson, Rolshoven.Twachtman, (jolies pochades au pastel, et Winter,the mason's house). Vail, Weir, etc. ; des sculptures de Barlett, Boyle, French, Kemeys, Ruckstuhl.
A voir:
Chez Durand Ruel : Saül et David de Rembrandt, de beaux Courbet, la Décapitation de Saint Jean-Baptiste de Puvis de Chavannes, l'Exécution de Maximilien de Manet.
Chez Boussod et Valadon : des meules ensoleillées, un Paysage de la Creuse de Claude Monet; deux Monticelli, première manière; Le Meurtre, L'Assassiné, Le Pendu, Les Traînards, de Henry de Groux; des dessins de Forain ; deux feux d'artifice de Whistler ; des Pissaro, Degas,Lautrec, Gauguin. Zandomenéghi, Carrière, etc.
Chez Lambert (en face de la Trinité) : des Monticelli, Raffaelli, Ziem, Ribot, etc.
Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Van Gogh, des Césanne, des E. Bernard, des Filiger, etc.
Félicitons la Société des Gens de Lettres, qui a commandé au sculpteur Rodin le monument de Balzac. Rodin vient de terminer son deuxième projet de monument à Hugo. Qu'en pensera, cette fois, la Commission? Le maître travaille en ce moment au buste d'Octave Redon.
Vient de paraître, chez l'Editeur Vanier, dans les Hommes d'aujourd'hui: Vincent van Gogh, texte et portrait pas Emile Bernard.
G.-A. A.
Jean Lombard vient de mourir (17 Juillet), âgé de 37 ans; il disparaît à l'heure précise où son œuvre, appréciée voici longtemps des écrivains, pénètre enfin dans le public lettré, et où le succès allait récompenser vingt années d'une vie extraordinairement laborieuse. D'abord ouvrier, il s'était en effet instruit tout seul―tour de force peu commun et requérant une indéfectible volonté, étant donné le peu de loisirs que laisse l'atelier à l'homme. Et les connaissances qu'impliquent ses livres ne sont pas seulement superficielles. Il habitait alors Marseille, et, en même temps qu'il dirigeait et rédigeait des revues et des journaux auxquels colloborèrent presque tous les jeunes gens de lettres parisiens, il composait Adel, poème de la Révolte future, s'intéressait de façon militante à la cause sociale, organisait des réunions publiques et y parlait. Une récente interview de L'Echo de Paris a rappelé ses campagnes socialistes. Puis il publia Loïs Majourès, roman de mœurs politiques provinciales, et deux autres romans d'un travail énorme, deux vastes poèmes en prose plutôt, qui reconstituent, l'un, l'Agonie, la Rome décadente d'Héliogabale, l'autre, Bysance, le monde oriental sous Constantin Copronyme. Il allait enfin publier―le livre paraîtra sans doute prochainement― Un Volontaire de 92 (psychologie révolutionnaire et militaire). et préparait une nouvelle reconstitution historique : Communes! Communes! où il eut fait revivre la bourgeoisie et le peuple à l'époque effervescente qui précéda l'affranchissement des communes. Œuvre considérable, on le voit, à quoi il faut ajouter les ouvrages en manuscrits: théâtre, poèmes, projets de toutes sortes, et les articles que, correspondant de divers journaux, il expédiait chaque semaine. De plus, il était rédacteur en chef de la France Moderne, la feuille littéraire qu'on sait.
Jean Lombard s'était définitivement fixé à Paris l'année dernière; il laisse plusieurs enfants et une jeune femme, à qui nous adressons l'expression de nos plus vives condoléances.
Une souscription due à l'initiative de M. Paul Marguerite a été ouvert à leur profit par L'Echo de Paris―car, hélas, la littérature est peut-être de toutes les professions dites « libérales » celle ou l'on travaille le plus pour le moins d'argent, et la mort de Jean Lombard met toute sa jeune famille dans une situation lamentable.
A.V.
Dans un de ses derniers Lundi littéraires (La Bataille du 14 juillet), M. Camille de Sainte-Croix annonce avoir trouvé, pour le livre de Germain Nouveau: Les Valentines, l'éditeur intelligent à qui nous faisions appel dans livraison de juillet. Il n'y aura pas souscription, et c'est préférable : le
succès du livre n'est d'ailleurs pas douteux. Il nous reste à souhaiter prochaine la publication des Valentines, qui seront présentées à nos lecteurs par notre collaborateur Louis Denise.
Très intéressante et très complète étude de Corbière dans les Notes inédites de Laforgue, publiées par les Entretiens Politiques et Littéraires de Juillet.
Par suite de difficultés survenues entre M. Paul Fort et le mandataire de Mme Villiers de l'Isle-Adam, le Théâtre d'Art ne jouera pas Axël, qui devait composer le huitième et dernier spectacle de la saison. Les abonnés n'y perdront rien toutefois: M. Paul Fort annonce pour la saison prochaine neuf spectacle au lieu de huit. Au programme de la première soirée, tous relevons le.. Cantique des Cantiques, de « M. Salomon, » ― comme imprime malicieusement La Bataille.
Le fascicule de La Plume du 15 juillet contient un bon portrait hors texte de notre collaborateur Laurent Tailhade; puis, entre autres choses intéressantes, le résultat de Procès Péladan-Bloy-Deschamps: M Péladan, demandeur, n'ayant point comparu ni personne pour lui, le Tribunal a purement et simplement rayé d'affaire. Mais il paraît que le Sâr a de nouveau assigné La Plume pour le 22 courant...
M. Valère Gille abandonne la direction de La Jeune Belgique. En attendant que soit désigné son successeur, c'est à M. Iwan Gilkin qu'a été confiée la direction de la revue.
Nous avons reçu les deux premiers numéros d'un nouveau confrère : Vendémiaire, Revue Sociale de quinzaine (Bureaux : 29, rue de Bréa; Prix: 25 centimes). Nos souhaits de longue vie et de brillante carrière à ce périodique socialiste.
Mais la concurrence commence à être terrible entre organes socialistes, révolutionnaires, anarchistes, etc. Le plus... original de ceux-ci est sans contredit Le Père Peinard, « gniaff » (4 bis, rue d'Orsel : « deux ronds » le numéro). Il publie chaque semaine ses « réflecs » anarchistes, qu'illustrent de leurs « baths » dessins ses « copains » Maximilien Luce, Lucien Pissaro, Paterne Berrichon, etc.
La Revue du Siècle vient de publier un portrait hors texte de Théodore de Banville, à qui M. Henri Corbel consacre un bon article dans la même livraison.
On annonce pour paraître prochainement une nouvelle revue : Chimère, sous la direction de MM. Paul Redonnel, Léon Dequillebecq et Pierre Dévolury.
Mercvre.