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Version actuelle en date du 15 février 2013 à 08:15
La Prostituée (poussant un cri de joie)
:Donne!
Le Juif (reculant)
: Qu'allez-vous faire des hosties? Moi, je refuse de m'en occuper.
Le Maudit (dressant le ciboire avec un mouvement d'horreur)
: Vide! Il est vide!
La Prostituée : Tant mieux! Ça leur arrive quelquefois d'oublier de le remplir... et comme il n'y a pas de contrôle...
Le Maudit (roulant des yeux fous)
: Personne, pas de Dieu, pas même un simulacre de Dieu!
Le Juif : C'était à deviner, puisqu'il ne vous répondait rien, mon cher garçon...Voyons toujours l'objet.
Le Maudit (le laissant s'emparer du ciboire)
: Et la foudre ne tombera pas.
La Prostituée (haussant les épaules)
: Tu nous ennuies avec tes perpétuelles exagérations.
Le Juif (retournant le ciboire aux lueurs louches de la lanterne)
: Tiens! Tiens! Tiens! je n'imaginais point si mal! Oh! Les fameuses légendes. (Il se penche, prenant des airs apitoyés.)
Le Maudit (se tordant les mains)
: Madelon ! Madelon! Ni Dieu ni foudre! Mon crime n'était donc pas encore assez grand... moi qui espérais des preuves dans le châtiment! Je me noie, Madelon! Une eau glacée monte à ma bouche! Madelon! Tu auras les bijoux, et en échange, moi, j'aurai le doute. En présence du doute effroyable toutes les misères ne sont que délices. Madelon, couvre-moi de ta robe, j'ai froid. (Il se jette aux pieds de la Prostituée.)
La Prostituée (radieuse, s'appuyant sur lui pour mieux regarder le ciboire)
: De l'or, des émeraudes, le gros diamant...
Le Juif (lâchant le ciboire qui tombe à terre, et remettant son bonnet)
: De la fumée, Madame, de la fumée!... Il a voulu voler Dieu, et c'est Dieu qui le vole... Tout est faux.
Un écho (très loin)
: Faux!
Rachilde.