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SUR LA VIE
Nous n'avons pour vivre que l'argument seul que nous vivons. Cela suffit en pratique, mais c'est misérable en logique.
La vie a au moins ceci d'original que des milliards d'hommes ont déjà vécu sans qu'on sache encore pourquoi.
Le temps est un fleuve dont la source et l'embouchure ne sont nulle part.
La naissance précipite dans la vie des êtres qui n'ont pas demandé d'y entrer, mais qui demandent encore moins d'en sortir.
On n'accepte ni on ne refuse la vie; la vie n'est ni un mal, ni un bien : c'est une nécessité heureuse ou malheureuse.
On n'aime et ne hait que par comparaison ; or, la vie étant sans terme de comparaison, elle ne peut-être l'objet ni de haine, ni d'amour. A moins que l'on ne prenne pour terme de comparaison les imaginations que l'on s'en fait!
La vie est un miroir qui reflète le visage dont on la regarde.
La vie est un cul-de-sac. Le tout est savoir si nous venons du fond ou si nous y allons.
On n'a pas la vie qu'on se fait, on a celle dont on est fait.
La vie est un abîme d'autant plus insondable qu'on cherche à le sonder.