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Version actuelle en date du 8 juin 2010 à 10:11
à ma chambre, lorsque la robe nous est revenue
de Paris... la robe blanche !... Une retouche au
corsage... Rosa avait épinglé... Rien !.. Ils la renvoient telle... Et c'est trop long de ça ! »
Deux doigts.
« De ça !.. Nous sommes consternées !.. Et voici
le sortilège, nous discutons, nous prenons les
ciseaux chacune à notre tour, et personne n'ose
découdre, — et pourtant il le faut ! J'ai peur que
nous ne passions la nuit... »
D'une voix plus blanche que la robe ensorcelée,
je demandai, en me contraignant, avec adresse, à
la plus aimable désinvolture :
« Tout en frappant à la vitre, j'ai aperçu, bien
involontairement, l'une de vos filles, et je l'avais
prise pour Elphège, sans aucun doute Elphège...
« — Elles se ressemblent tant, et il y a si longtemps ! Ah ! l'heureux jadis !... Mais, j'y songe,
venez ! Les hommes ont plus de sang-froid...
Elle répéta :
« Venez ! »
Quand je pénétrai, à la suite de sa mère, dans
le petit salon, Édith, d'un regard froid et dur,
m'interrogea sévèrement, mais Mme de Laneuil,
consciente, elle aussi, de la profanation imposée
par ma présence à cette veillée anténuptiale, en
dissipa hâtivement les ténèbres, exposa, avec des
rires, ce qu'elle appelait son idée...
Et moi je songeais que c'était bien Édith, — sans aucun doute Édith ! C'était bien la pâle Édith
que j'aimais, la blonde Édith, avec toute la violence d'une désolante insanité ! Seul avec elle,
j'aurais en vérité subi les horribles tentations du
stupre, j'aurais voulu boire la rosée de sang répandue sur ces lèvres muettes...
Mme de Laneuil exposait, avec des rires, son idée...
Et moi, mon agitation nerveuse m'abandonnait,
vaincu, à une familière crise de désolation consentie, lorsque je devinai qu'Édith me regardait
encore, me regardait toujours : — sans aucun
doute, Édith me regardait.