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Sur une onde perverse qui dort,
La nacelle a glissé si plaintive,
Que la brume du soir, que la mort
De la nuit, sur la nef fugitive,
Murmurèrent ces choses d'accord :
« Où va-t-elle, la cymbe ? où va-t-elle,
Sans rameur, sans un souffle de vent ? »
— « Elle suit la fortune infidèle,
Et sa course qui change souvent
Découpa son sillage en dentelle. »
— « Quel étrange et pénible méfait
L'a poussée en ce triste voyage ? »
— « Qui saura t'expliquer un effet
Par la cause inconnue et volage
Dont se meut l'univers imparfait ? »
— « Je voudrais répéter à la barque
Des paroles d'amour ou d'espoir ! »
— « Ce serait la leurrer que la parque,
La guettant de l'abîme si noir,
Pour nul heur effrayant ne la marque. »
— « La leurrer, ne sera-ce au moins pas
Lui jeter une brise amicale ? »
— « Croira-t-elle au plus fou des appas !
Où la brume et la mort font escale,
Sur leurs vœux fuirait-elle un trépas ? »
— « Lamentable et cruelle ironie !
La pitié vient de nous, les effrois ! »
— « Nulle épave, ou maudite ou bénie,
Transportant des navrés ou des rois,
Ne survienne sans larme infinie ! »
Louis Dumur.