A Pierre Quillard.
- C'est, au milieu des bois que la lumière dore,
- Un parc inviolé par les souffles d'hiver
- Où les rayons éternels d'une chaste aurore
- Se mêlent aux parfums des fleurs et charment l'air.
- La douce clarté vague en des blancheurs heureuses;
- Elle baise, le long des candides chemins,
- Les roses pâles et les grêles tubéreuses
- Et les lys glorieux et les calmes jasmins.
- Et là, loin des cris lourds de haine et de colère,
- Loin des hommes tremblants et voués aux douleurs,
- La Belle qu'a surprise un sommeil séculaire
- Dort parmi le triomphe immaculé des fleurs.
- Des voix
- Dors, ô Belle, dors dans le mystère,
- Où des rêves d'azur illuminent tes yeux,
- Dors comme la Guerrière en sa virginale armure;
- Et les voix de l’Été, les voix de la lumière,
- Les voix des impérissables ramures
- Te berceront avec des cantiques pieux:
- Dors, ô Belle, dors dans le mystère.
- Contemple, ô Belle, les célestes prairies
- Que nul monotone automne ne vient faner,
- Contemple les harmonieuses prairies
- Étincelantes d'or calme et de pierreries
- Où vaguement apparaît le Prédestiné.
- Le voici survenir, l'idéal Fiancé,
- Le Héros conquérant des suprêmes territoires,
- Celui vers qui ton rêve s'est élancé,
- Le souverain vêtu d'aurore et de victoire,
- Le voici survenir, souriant
- Et guidé par de merveilleuses mélodies,
- Et, comme en des splendeurs d'étoiles brandies,
- Sa royale beauté flamboie à l'Orient.
- Le bois en fleurs est plein de joyeuses querelles:
- La clarté du printemps y réveille les bruits.
- Les abeilles d'or roux passent, les sauterelles
- Frôlent de leur gaieté les myrtils et les buis.
- La pervenche bleuit près de la violette
- Dont les parfums montent vers le ciel éclatant;
- Le nénuphar d'ivoire s'ouvre et se reflète
- Dans le miroir limpide et moiré de l'étang.
- Les oiseaux, gazouilleurs de légères matines,
- Épandent par les airs des hymnes triomphants,
- Et, parmi les halliers étoiles d'églantines,
- Bondissent des troupeaux de biches et de faons.
- Des joyaux qui vivent embellissent les sentes,
- L'hiver ne blesse plus les arbres de chocs lourds,
- Et, dans la fraîcheur des clairières bruissantes,
- Vole et rayonne comme un jeune essaim d'amours.
- Des voix
- Lentement, des pas sonnent par les sentiers;
- Ils frôlent, sans les fouler, les fleurs frêles;
- Vague et douce, une chanson se mêle
- Aux chansons qui s'échappent des nids printaniers.
- C'est un prince qui approche par les sentiers.
- Son front rayonne de lumière;
- II sourit un sourire d'extase,
- Ses yeux que les larmes n'ont jamais ternis,
- Ses yeux que des feux divins embrasent,
- Ses yeux sereins et purs comme l'aurore première,
- Semblent suivre quelque songe dans l'infini.
- Le Prince
- J'écoute des voix de lutins
- Chanter dans les blondes haleines
- Qu'imprègnent la verveine et le thym.
- O voix, c'est votre chant qui mène
- Vers les parterres clairs du glorieux jardin.
- Dans la bonne forêt grandissent
- Les chansons mystérieuses et propices;
- Je vais comme emporté vers le ciel,
- J'ai quitté le mensonge:
- Oh,guidez-moi,voix chères, voix fraîches, voix de miel,
- Guidez-moi
- Vers celle que j'ai vue en la lueur des songes.
- Des voix
- Dans le parc aux fleurs impérissables,
- Loin des cris mornes, loin du choc des glaives,
- La Belle dort.
- Bercée d'hymnes ineffables,
- Elle suit longuement son rêve.
- Qui es-tu, Toi qui veux conquérir le Trésor?
- Le Prince
- Je suis le royal Solitaire,
- Je suis le Pur.
- Les hydres d'orgueil m'ont crié leurs cris durs:
- J'ai forcé les hydres à se taire.
- Et maintenant, je veux aller vers le mystère,
- Je veux aller au jardin d'azur
- Où la Belle dort en des rhythmes de mystère.
- Des voix
- Malheureux...
- Tu ignores le jardin où tu cours.
- Tes pauvres yeux, tes pâles yeux
- Ne peuvent contempler la chaste aurore,
- Et, parmi les parfums d'amour,
- Tu languirais vers la victoire humaine, encore.
- Le Prince
- Que m'importent les luttes vaines?
- La divine lumière rayonne à mes prunelles.
- O Voix, guidez-moi vers la Belle,
- Oh, guidez-moi vers l'éternelle Souveraine.
- Des voix
- Es-tu le Renonciateur?
- Es-tu Celui qui méprise a jamais
- Les âpres désirs, faux et menteurs?
- As-tu bien écouté les Messagères?
- Pourras-tu, dédaigneux des villes étrangères,
- Boire l'onde bénie aux fontaines de paix?
- Le Prince
- Mes ardeurs vers la nuit sont mortes.
- J'ai suivi le vol doré des Chimères
- Qui m'ont guidé loin des royaumes éphémères
- Et je peux franchir la lumière de la Porte.
- C'est moi qui verrai la Dormeuse
- Et c'est moi qui l'éveillerai;
- Et nous écouterons, par le jardin sacré,
- Chanter les harpes bienheureuses.
- Des voix
- Va donc, ô Vainqueur:
- Puisque tu as oublié les vaines pensées,
- Éveille la Fiancée
- Qui t'a vu dans l'espoir de son rêve, ô Vainqueur.
- En le lit virginal de jasmins et de roses,
- Le Prince a contemplé la Dormeuse au front blanc,
- Et, pour rendre le jour aux prunelles encloses,
- Il approche, orgueilleux à la fois et tremblant.
- Le parc éblouissant frémit d'un long sourire.
- L'Élu frôle le front clair d'un baiser vermeil;
- La Belle ouvre ses yeux où le printemps se mire
- Et chante doucement l'hymne du bon réveil.
- La Belle
- L'aurore fatidique empourpre les allées.
- Au baiser attendu je m'éveille parmi
- La chaste royauté des fleurs immaculées.
- ]e m'éveille du beau sommeil que j'ai dormi,
- Et voici que l’Étoile du bonheur m'éclaire.
- Oh, c'est toi qui devais venir : approche, Ami.
- Toi qui pour mon amour as méprisé la terre,
- Toi de qui la splendeur hantait mes rêves saints,
- Approche, ô Conquérant couronné de lumière.
- Les Esprits de paix nous entourent par essaims,
- Et les blancs oiseaux fils des candeurs inflétries,
- Les cygnes immortels chantent dans les bassins.
- Et c'est l'heure où s'ouvre la fleur des songeries;
- Nous irons par l'éclat fraternel du verger
- Sous les branches que nulle grêle n'a meurtries
- Et qui nous béniront d'aimer et de songer.
- La Belle et le Prince
- Une brise impalpable et pure nous caresse,
- Des Femmes de soleil parent nos cheveux blonds,
- Ses astres luisent sur la route où nous volons
- Et tous deux nous montons vers la divine ivresse.
- Dans le printemps royal nos clartés confondues
- Volent éperduement d'un sidéral essor,
- Et nous buvons la vie aux flots de pourpre et d'or
- Qui fécondent le champ des chères étendues.
- Nous sommes la blancheur de la lune rieuse,
- Nous sommes le saphir argenté de la mer,
- Nous sommes la pâleur du soir limpide et clair
- Et la rougeur de l'aurore victorieuse.
- L'impérissable Jour de l'Extase se lève.
- Nous moissonnons l'espoir superbe à pleine faulx,
- Nous sommes les chants et les rhythmes triomphaux
- Et nous sommes la Joie éternelle et le Rêve.
A.-Ferdinand Herold.