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Version actuelle en date du 6 juin 2012 à 12:29
Ce gouffre, dans lequel nous nous plaisons et nous nous effrayons à plonger nos regards, a la profondeur de notre pensée. Pour quelques-uns, il est plat comme une plaine.
La vie est une association passée avec le hasard. Nous apportons notre nom, notre argent, notre famille, nos relations, nos capacités, nos projets, nos rêves ; le hasard nous apporte sa coopération féconde ou meurtrière.
Dans la lutte pour la vie, il y a certes plus l'amour de la lutte que l'amour de la vie. C'est la vie pour la lutte qui est le vrai principe.
Nos impressions sont doublement changeantes, soumises à la fois au changement des choses et au changement de notre esprit.
Nous ne vivons que par l'espérance du changement. Les choses passent ; nous changeons ; notre désir d'autre chose seul reste.
La rive dont nous nous écartons semble plus belle que celles où nous abordons successivement; mais celle que nous ne voyons pas et où nous nous proposons d'atterrir définitivement est la plus belle de toutes : malheureusement nous ne l'atteignons jamais.
Il faut tout attendre de la vie et n'en espérer rien.
La vie est une attente perpétuelle de ce qui peut être, un renoncement perpétuel à ce qui n'est pas, une angoisse perpétuelle de ce qui doit être.
— Mon petit ami, vous n'êtes qu'un imbécile: